Le 22 juin 1962, un Boeing 707, en provenance de Paris, est en approche de l’aéroport du Raizet. Il s’écrasera sur la commune de Deshaies, en Nord Basse Terre, juste quelques minutes avant l’atterrissage. Une trace, nommée la trace de Boeing, permet de découvrir les lieux de ce tragique accident d’avion. Sur le lieu du crash, un contrefort montagneux entre les mornes de Caféière et de Dos d’Âne sont encore visibles de nombreux débris mécaniques, parfois de taille importante.
La randonnée
Durée : 1 h 15 AR
Longueur : 5 km
Niveau : Facile
Accès : D18 – Caféière
Des vestiges du Boeing sont encore visibles sur le site et des stèles ont été érigées en mémoire des 113 victimes, 103 passagers et 10 membres d’équipage, de cette catastrophe.
Le chemin en grande partie carrossable monte en pente douce mais ne présente aucune difficulté : un peu plus d’une demi-heure suffit pour parvenir au but.
Les conditions du vol et de l’accident
Un avion récent et un commandant de bord chevronné
Le Château de Chantilly, immatriculé F-BHST, est l’un des dix-huit Boeing 707 exploités par Air France en juin 1962. Il avait été livré quelques mois plus tôt, en mars. L’avion affichait, au moment du vol, 963 heures de vol et avait fait l’objet d’une inspection la semaine précédente.
Le commandant de bord de l’appareil n’était autre que André Lesieur, un pilote chevronné âgé de 42 ans. Il avait piloté l’avion du président de Gaulle à plusieurs reprises et avait rejoint Air France après une brillante carrière dans l’Armée de l’air. Il était médaillé de la Légion d’Honneur.
Le déroulement du vol
Le vol AF-117 reliait Paris à Santiago du Chili en plusieurs escales : Lisbonne (Portugal), Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre, Bogota (Colombie) et Lima (Pérou).
L’avion décolle de l’aéroport d’Orly, à minuit heure locale, le 21 juin. À l’escale de Lisbonne quelques passagers descendent et huit autres embarquent. Après une nouvelle escale aux Açores, l’avion se dirige vers la Guadeloupe, où il doit arriver de nuit, vers 4 h du matin. Il ne parviendra jamais à sa destination finale.
Les conditions à l’arrivée
Le temps est orageux, avec des éclairs, de la pluie et des vents de 30 à 40 nœuds.
L’avion fait une première approche vers la piste dans des nuages bas mais a, semble-t-il, des problèmes avec son train d’atterrissage. Il survole la piste et fait alors un demi-tour sur la gauche, selon la procédure d’approche interrompue. L’équipage s’annonce à la verticale de la balise NDB à 5 000 pieds, puis la communication avec la tour de contrôle se perd.
Quelques minutes plus tard, à 4 heures 20 du matin, l’avion heurte le massif dit du Dos d’Âne, à environ 420 mètres d’altitude, dans une zone boisée de Deshaies sur l’île de Basse-Terre, et se fracasse.
Les causes probables du crash
Les causes exactes de l’accident restent à ce jour inconnues. L’écrasement s’est produit sous un orage, conditions météorologiques cependant acceptables pour un quadriréacteur comme le Boeing 707.
L’aéroport n’était à l’époque pas équipé d’ILS et son VOR était hors service, impliquant une procédure d’approche NDB, moins précise.
Le morne du Dos d’Âne se situe dans l’axe de la piste d’atterrissage mais à 23 km du seuil de piste, loin de la trajectoire d’approche. Il est possible que les indications du radiocompas (ADF) aient été perturbées par l’orage, faisant dévier l’avion à 15 km de la trajectoire nominale.
Des personnalités politiques à son bord
L’indépendantiste guadeloupéen Albert Béville
Albert Béville, né à Basse-Terre, poursuit ses études à Paris et devient docteur en droit. Il obtient un brevet de l’École Nationale de la France d’Outre Mer et sera haut fonctionnaire de l’administration coloniale, anciennement en poste au Mali et au Sénégal.
Parallèlement, il devient l’un des piliers de la littérature francophone noire de l’époque. Dès ses premiers poèmes publiés, en 1954, Albert Béville prend le pseudonyme de Paul Niger, conscient que le poète pouvait dire des choses que le droit de réserve de l’administrateur des colonies lui interdisait.
En mars 1959, il rencontre Edouard Glissant au Congrès Mondial des Écrivains et Artistes noirs à Rome. Il fonde avec ce dernier, Cosnay Marie-Joseph, le secrétaire général du Parti communiste martiniquais et Marcel Manville, l’un des avocats du FLN algérien, le Front des Antilles – Guyane pour l’Autonomie. Lors du congrès inaugural, en avril 1961, il rédige la brochure-pamphlet Les Antilles et la Guyane à l’heure de la Décolonisation. Cette brochure sera saisie en juillet 1961, le Front dissout par le Général de Gaulle.
Albert Béville sera rétrogradé administrativement et, comme ses acolytes, interdit de séjour aux Antilles en raison de son engagement politique. Le 21 juin 1962, Albert Béville, particulièrement surveillé, déjoue la surveillance policière et embarque à bord du Boeing.
Le député guyanais Justin Catayée
Fondateur en 1956 du Parti Socialiste Guyanais, le PSG, Justin Catayée milite ardemment pour l’instauration d’un statut spécial pour son département.
L’époque était celle de la montée des mouvements d’émancipation aux Antilles et en Guyane. Justin Catayée était d’autant plus difficile à contenir qu’il s’est senti trahi par le général de Gaulle qu’il avait rejoint dans la Résistance. Blessé sur le front, il avait reçu la distinction, de Compagnon de la Libération.
L’émissaire du général de Gaulle, André Malraux, avait promis aux dirigeants de la gauche des départements d’outre-mer un certain degré de décentralisation. A la condition qu’ils appellent à voter « oui » au référendum instituant la Cinquième République. Les communistes de la Réunion, de Guadeloupe et de Martinique, le PPM d’Aimé Césaire et le PSG de Justin Catayée n’ont rien vu venir.
Les stèles commémoratives
Plusieurs stèles commémoratives ont été dressées sur le lieu de l’accident au Dos d’Âne :
- le 22 juin 1992, la stèle du Parti socialiste guyanais à la mémoire de Justin Catayée
- en 2002, la stèle officielle de la commune et de la Région Guadeloupe en mémoire de l’ensemble des victimes
- en 2012, la stèle, à la mémoire d’Albert Béville, pour le cinquantenaire de l’accident
La thèse de l’attentat : des éléments troublants
Les observations
Des pêcheurs de Deshaies évoquent une explosion de la queue de l’appareil en vol …
Le nez de l’avion est resté intact alors quil est dit que l’avion aurait piqué vers le sol avant de s’écraser. La thèse de l’accident est une nouvelle fois ébranlée comme le stipule le journal Air-Safety.
La valse des passagers
– Albert Béville, un interdit de séjour en Guadeloupe est « autorisé » à partir ce jour là.
– Deux députés de la Guadeloupe, dont Paul Lacavé, sont invités à ne pas prendre cet avion là.
– Un commerçant de Basse-Terre est invité à débarquer à Lisbonne.
– Un mystérieux cercueil aurait été embarqué
Le député guyanais Justin Catayée se savait menacé
A 46 ans, Justin Catayée se savait menacé et avait pris la précaution d’en avertir des amis sûrs et son frère, médecin à Montpellier.
Le 19 juin, 2 jours avant le vol, le député Justin Catayée s’était fait couper le micro par le président de l’assemblée Nationale, Jacques Chaban Delmas, alors qu’il parlait de la situation tendue en Guyane, avec la violente répression menée par le Préfet Érignac.
Coupé dans son élocution, en colère, il déclare : » C’est peut être la dernière fois que j’interviens dans cette assemblée « . Le surlendemain, il prenait l’avion pour rejoindre Cayenne, une ville morte due aux grèves générales, le 22 juin 1962…
Justin Catayée prononce ce qui sera son dernier discours à l’Assemblée nationale quelques jours plus tôt.
Il apostrophera ses collègues d’une phrase prémonitoire sur la possibilité qu’il ne réapparaisse plus en ces lieux.
Le rapport du crash
A l’époque, les boîtes noires n’enregistraient pas les conversations de la cabine. Le rapport du BEA (Bureau d’Enquêtes et d’Analyses) reste introuvable.
A la demande du Premier Ministre, le rapport de la commission d’enquête du 12 décembre 1962 concernant le crash ne fut pas rendu public. Seul le pilote fut mis en cause, ce qui éteignait toutes les actions en justice.
Le pilote jugé responsable du crash
Reconstitution de l’approche du Boeing
(à partir de la minute 5:00)
Syndicaliste acharné, André Lesieur avait dénoncé entre autres les modes de repos insuffisants pour la récupération des pilotes et les affectations arbitraires et non sécuritaires sur des plans de vol non connus des pilotes.
1979 : La cour d’appel d’Amiens indique que vu les circonstances, le pilote aurait dû se dérouter vers un aéroport voisin.
1971 : Le commandant André Lesieur, qui était aux commandes, était un pilote chevronné mais qui aurait peut-être trop présumé de ses forces.
60 ans après, la question se pose toujours
Le rapport déclassifié en 2012
Selon le rapport déclassifié en 2012, 50 ans après le crash, trois causes apparaissaient tenant à des insuffisances du ministère des Transports, de la compagnie Air France pour assurer la sécurité des vols, et sans doute erreur de pilotage.
L’enquête conclut à un malheureux concours de circonstances : une panne des instruments de guidage au sol de l’aéroport du Raizet et l’insuffisance des données météorologiques reçues par le personnel navigant. Ce qui a pu provoquer une mauvaise lecture des manœuvres d’approche de la piste du Raizet, l’avion ayant dévié de sa trajectoire.
Le rapport Stora
Un arrêté du 22 avril 2014 constitue une commission temporaire d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin en Guadeloupe et en Guyane et de mai 1967 en Guadeloupe pour 1 an.
En novembre 2016, cette commission remet enfin son rapport, dit rapport Stora, où figurait une mise au point sur l’accident d’avion et sur la diffusion de la rumeur d’un attentat.
Pourtant chargé de faire toute la lumière sur ce dossier, le rapport Stora de la commission, n’a pas donné entière satisfaction…
Ce ne sont pas des rumeurs
Selon Hector Déglas, dit « Titor », professeur de français, d’histoire et de créole, historien et nationaliste (1938 – 2021)
Ce ne sont pas des rumeurs. On a prétendu que l’avion, suite à un orage magnétique, a commencé sa descente trop tôt puisqu’il a heurté la montagne dans l’axe de la piste, celle-ci n’étant équipé du système ILS. On attend toujours le rapport et même si on y a accès, on s’y perdra en conjectures. Quid d’orage magnétique ? La météo était bonne et le pilote chevronné, celui de De Gaulle, connaissait bien les lieux et les manoeuvres classiques pour aborder la piste.
On pense que les coordonnées liées à l’altimètre et au radar de bord avaient été préalablement faussées. Par qui ? Par le SAC de Foccart ? Une chose est sûre, il y avait également à bord Albert Béville, alias Paul Niger, militant autonomiste guadeloupéen, interdit de séjour dans son pays mais que l’on a laissé tranquillement embarquer !
Pourquoi Catayée était-il un danger pour le pouvoir gaulliste ? Il s’était déjà opposé à l’implantation massive de Pieds-Noirs en Guyane, après le « coup » des tribus Mong résultant de leur rôle aux côtés des Français en Indochine.
Une Guyane autonome présentait des risques pour la future base spatiale de Kourou. Aujourd’hui, Kourou est devenue un véritable Etat-dans-l’Etat dans le pays des Guyanes. Il faut savoir que ce ne sont pas les 130 passagers du Boeing 707, des indigènes, qui ont pesé dans la balance lorsqu’il s’est agi d’appliquer une « raison d’état » en faisant d’une pierre deux coups !
Nous étions en pleine fin de guerre d’Algérie, avec l’OAS. A titre de comparaison, De Gaulle ne s’est pas embarrassé de scrupules lorsqu’il a ordonné d’abandonner à leur sort tragique plus de 120.000 harkis qui avaient « loyalement » combattu dans l’armée française.
Accident ou attentat, la question reste entière.
Sources
https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/mystere-mort-justin-catayee-sera-t-il-elucide-488225.html
https://www.imec-archives.com/archives/collection/AU/FR_145875401_P451NGR
https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001058/l-affirmation-de-l-autonomisme-antillais.html
https://www.imec-archives.com/archives/collection/AU/FR_145875401_P451NGR
http://aviation-safety.net/database/record.php?id=19620622-0&lang=fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vol_Air_France_117
https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_La_Viny